La Transatlantique vue par Benoît

Publié par Manon le

La Transatlantique vue par Benoît

Du 10 au 28 janvier 2023 – 2 240 milles parcourus – 18 jours en mer
À bord : Marion, Violine et Benoît

Pour vous raconter la première traversée océanique de Kannjawou, moment initiatique tant fantasmé et tant préparé, nous vous livrons ici les récits croisés de ses 3 membres d’équipage. Vous verrez que, loin de se répéter, ils se complètent et s’enrichissent et livrent chacun leur sensibilité particulière face à cette expérience. Ci-dessous, les impressions du master du sextant, Benoît.

Vous retrouverez par ici les textes de Marion (ICI) et de Violine (ICI). Et par ICI, le rappel des raisons qui ont amené Manon à ne pas embarquer pour cette traversée…

Impressions de transat'

Janvier 2023 – Le Marin

Avant le départ

« On dirait les Féroés avec 25° », c’est la première pensée qui m’est venue en posant pied à terre. Peu de temps avant, la réalité de la transat se présentait sous les hublots : quelques voiliers sous génois seul, cap à l’ouest, dans le couloir de vent entre les îles. On passe devant Santo Antão et on admire une côte pelée et bosselée qui cache une île plus verte sur sa partie abritée. La descente est impressionnante, je regarde les moutons sur l’eau et l’état de la houle en rêvassant quand un phare se présente à hauteur de l’avion, surprise, c’est déjà la piste ! À la descente nous sommes accueillis par un air chaud et sec, établi à une vingtaine de nœud, quel contraste avec le temps à Paris quelques heures plus tôt.

Je n’ai jamais navigué dans ces conditions et suis donc très enthousiaste. Les M&M’s (Manon et Marion) nous ont préparé un parcours d’accueil au Cap-Vert absolument parfait. Nous alternons topos sécurité, organisation, logistique et avitaillement avec des visites de São Vincente (premier bain de l’année dans une eau à 25°, nage avec les tortues, concerts et balades). J’étais très excité à l’idée du départ mais ça n’a pas empêché de profiter de l’atmosphère de Mindelo. En y repensant j’ai déjà hâte de revenir et de visiter les autres îles de l’archipel.

Le bateau a été préparé avec soin. Bien que je connaissais déjà les capitaines de Kannjawou, je n’avais jamais navigué à bord ; quelques discussions et une sortie sur le bateau que je partage avec ma partenaire Alice m’avaient confirmé que nous partagions une même philosophie de la voile et de la vie à bord. C’est dans ce stand-by avant la transat que j’apprends à connaître la 3e équipière, Violine, que je n’avais jamais rencontrée. Si la transat exige peu de connaissance technique, c’est surtout une aventure humaine forte où la bonne entente est primordiale. Très vite en confiance, je réalise que les conditions d’une petite vingtaine de jours en mer dans un bateau de moins de 10 m sont réunies et idéales ! Cette confiance a été confirmée et renforcée lors des différents points de préparation d’avant le départ. La météo imposant une légère attente de quelques jours, nous avons eu le luxe de les espacer et d’avoir le temps de digérer la quantité d’informations à assimiler. Enfin, c’est la bonne fenêtre, un reste de houle pose question mais on n’y coupera pas. Nous nous lançons donc le 10 janvier, les amarres sont larguées à 14h avec une manœuvre parfaite au départ de Mindelo, tout se fait dans le calme et la concentration, la place est plutôt à l’émotion lorsque nous saluons Manon sur le quai.

20 minutes de moteur pour sortir et nous le coupons, le génois est déroulé et le silence revient. Nous sommes encore protégés de la houle et le vent porte bien, accentué par l’effet venturi entre Santo Antão et São Vincente : nous savourons !

Immédiatement le régime des quarts se met en place, même en journée nous nous y tenons soigneusement, le but étant de se préserver et de préserver les autres. Nous nous réveillons 15 minutes avant l’heure de relève pour avoir le temps de s’habiller, de faire un brin de toilette et de prendre les infos auprès de la personne en sortie de quart. Ces derniers sont organisés par tranche de 3 h, ce qui permet une rotation relativement rapide, et d’avoir 6 h de repos théoriques qui sont appréciables. L’autre intérêt des quarts de 3 h est que les tranches horaires des quarts sont alternées d’un jour à l’autre, ainsi, personne ne se retrouve coincé pour 20 jours avec deux quarts de nuit (notamment les tranches 18 h-21 h et 3 h-6 h qui l’étaient sur la première semaine).

La transat

Rétrospectivement, on peut dire que la traversée a été marquée par trois grandes séquences. Les premiers jours, disons les trois premiers, marquent un temps mélangé d’excitation, d’appréhension et d’amarinage. Dès la sortie du dévent de Santo Antão, la houle rentre fort et n’est pas bien « rangée », une houle secondaire venant du Nord nous arrive bien travers et brise régulièrement sur la coque. Les mouvements de Kannjawou sont imprévisibles et secouent les estomacs. Il faudra 2 jours sans compter la partie protégée pour être en pleine possession de nos corps et pouvoir manger, boire et dormir correctement. Malgré ce temps d’amarinage, nous avançons bien et faisons 3 jours à plus de 160 milles par 24h (!).

Démarre ensuite le cœur de la traversée : une sorte de routine implacable où toute notre attention se porte sur notre avancée. On ne pense pas tant à combien de milles il reste mais plutôt à maintenir une vitesse honorable et à bien régler le bateau. Les quarts sont mécaniques et une sorte de nouveau quotidien s’impose, il est bien accueilli par l’équipage. Nous sommes entièrement tournés vers la préservation du bateau et de nous-mêmes, on navigue avec la voile du temps (légèrement sous-toilés la nuit) et on est très vigilants aux blessures éventuelles, même si une glissade de Violine dans le carré à un changement de quart nous effraie sérieusement. L’émotion passée, nous redoublons de vigilance et assurons nos déplacements (une main pour soi, une main pour le bateau). Le gilet est porté à chaque sortie et les quarts solos sont systématiquement avec longe, tout comme les mouvements sur le pont. Nous mangeons bien et frais et apprécions les temps en commun des repas ainsi que l’écriture de nos messages quotidiens sur le site. Les mails iridium sont des petits cadeaux qui égayent le quotidien et qui sont attendus avec fébrilité. Aucune crispation n’est à déclarer, chacun fait sa part, entre nettoyage, cuisine, vaisselle, animation (fitness et étirements à bord pour se maintenir en forme) et discussions sur tout et rien

J’apprécie particulièrement les nuits dégagées à contempler un ciel sans pollution lumineuse. J’apprends aussi à observer la rotation et la position des étoiles (avec l’aide de l’application SkyView au début). La grande Ourse que je cherche spontanément n’arrive qu’assez tard dans la nuit. On voit bien Mars, mais c’est Orion qui me fascine le plus, avec sa ceinture en diagonale, il me renseigne sur l’avancée de mon quart sans que j’aie à regarder l’heure. En journée, c’est les points au sextant qui nous occupent bien, surtout au début, le temps de bien comprendre. Nous alternons entre point à la méridienne quand c’est possible (nécessitant une heure sans nuage environ, au moment du passage du soleil à notre méridien), et point selon la méthode de la droite de hauteur. Ces exercices nous connectent aux astres sous un autre aspect que contemplatif, ces derniers prennent une tout autre dimension, celle de guide et de sécurité. J’aime l’idée de pouvoir nous positionner sans énergie, et je suis très heureux de cet apprentissage ! 

Après une fête de mi-transat et une rasade de rhum offerte à Neptune, l’avancée est comptée en miles restants. Mine de rien et sans être trop envahissante, une pensée souterraine en moi conscientise la distance et, les milles diminuant, je commence à me dire : « Okay, c’est possible de finir sous gréement de fortune ». D’autres pensées plus ou moins encombrantes s’invitent autour des notions de sauvetage ou de survie ; elles surnagent dans mon esprit sans être trop angoissantes et ne gâchent pas le plaisir.

La fin de traversée est un peu différente et forme le troisième volet. On commence les estimes, on regarde très attentivement la météo, on veille aux grains qui se renforcent sérieusement la dernière semaine, tout comme les sargasses qui condamnent nos essais à la pêche (on aura quand même dégusté une superbe daurade coryphène). Les quarts sont majoritairement dédiés à retirer les sargasses de la pâle immergée du régulateur d’allure. Malgré les grains, on n’essuie pas plus de 30 nœuds. Par contre on est bien arrosés (ça rince les voiles). Globalement, on a profité d’une super météo, pas de vraie pétole, une à deux journées de molle à 5 nœuds, tout au plus. On arrive donc en forme, biens nourris et reposés, même si le sommeil fractionné tire un peu sur nos organismes. Nous sommes restés à l’heure du Cap-Vert, nous aurons donc 3h à absorber en arrivant. L’atterrissage se fait de nuit ; vers 2-3h on voit le halo lumineux de la Martinique, les lumières de la côte Atlantique, le Vauclin, le phare de l’îlet Cabrits puis plus rien passé 3h, les grains s’enchaînent et on ne voit plus rien jusqu’au petit matin.

Un grain sur la transat’, quand on est de quart, ça mouille !

Je suis réveillé par une voix familière à la VHF, c’est le CROSSAG (Cross Antilles-Guyanes) qui diffuse un « bulletin météorologique côtier sur le canal 79, 7-9 », je saute de ma couchette et augmente le volume pour que Marion sur le pont puisse profiter de ce signe d’arrivée !

Le contournement Sud par la « Marque-tinique », qu’on avait placée comme point virtuel d’atterrissage, se fait bien : en deux bords de près serrés on se place dans l’alignement d’entrée du Marin. Ça sent fort le bois-brûlé-mouillé, nos narines désensibilisées sont perturbées par ces odeurs végétales et l’excitation de l’arrivée monte, la fierté de l’équipage aussi, on se réjouit d’être arrivés sans casse et sans bobo ! En arrivant à la marina, Marion assure une manœuvre en marche arrière aussi soignée qu’au départ, 17 jours et 22 h plus tôt. J’ai déjà envie de repartir !

Benoît

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3 commentaires

KILUDI chablis lyvet · 26 mars 2024 à 15 h 34 min

Bravo pour tout !
Quel bonheur de vous suivre , de vous lire et de nous faire partager .
Merci .
Bonnes suites à kanja !

La Transatlantique vue par Violine - Kannjawou, le voilier-bibliothèque · 18 mars 2024 à 14 h 00 min

[…] retrouverez par ici les textes de Marion (ICI) et de Benoît (ICI). Et par ICI, le rappel des raisons qui ont amené Manon à ne pas embarquer pour cette […]

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