La Graciosa et Lanzarote : Explorations lunaires aux îles du printemps éternel

Publié par Manon le

La Graciosa et Lanzarote : Explorations lunaires aux îles du printemps éternel

Du 20 septembre au 3 octobre 2021 – 45 milles parcourus

À bord : Marion et Manon

• La Graciosa, 1ers pas enchanteurs en terre volcanique
Du 20 au 22 septembre 2021

Après notre arrivée pour le moins tardive, à la seule lueur de la lune, au port de La Graciosa, notre 1re nuit aux Canaries est courte, mais intense… Même couchées à 4 heures du matin, nous dormons comme des bébés et profitons d’un repos réparateur, sans réveil toutes les 3 heures et sans houle croisée pour nous bringuebaler dans tous les sens : un privilège qu’on ne mesure pas dans la vie à terre, quel bonheur !

Pour autant, nous ne traînons pas trop au lit le lendemain car nous trépignons d’impatience de découvrir à la lumière du jour cette petite île des Canaries de laquelle nous avons tant rêvé, au fil des récits des voyageurs en voilier, qui gardent tous une affection particulière pour « La Gracieuse », petit paradis sauvage et préservé. Ici, pas de tourisme de masse, pas d’eau courante (tout est livré par bateau et stocké en citerne !), pas de routes goudronnées et des eaux turquoise qui viennent lécher les pieds de cônes volcaniques ocres vieux de plusieurs siècles.

Nous mettons le nez dehors sous un beau soleil et, dès nos 1ers regards alentours, élisons Caleta del Sebo comme le plus beau petit port que nous ayons visité jusqu’à présent… Autour de nous, d’un côté, les immenses falaises volcaniques du nord de Lanzarote plongent à pic dans les eaux transparentes peu profondes du « Rio », ce bras de mer qui sépare les 2 îles ; de l’autre, une petite anse de sable jaune chaud s’ouvre devant un village aux maisons blanches cubiques orné ça et là de quelques cactus et palmiers. Nous prenons pleinement conscience d’avoir quitté l’Europe continentale, et donnons sens aux longues journées passées en mer à longer les côtes marocaines : on se croirait ici bien plus au Maghreb qu’en Union européenne !

Après un petit saut au bureau du port pour nous assurer que les formalités effectuées par Internet sont en règle, un gros ménage post-traversée du bateau puis une douche (froide) dans les sanitaires publics, nous allons fêter notre arrivée à la terrasse d’un petit restaurant où nous pouvons enfin goûter aux papas arrugadas et aux mojo verde et rojo tant fantasmés pendant la traversée, en lisant la rubrique « Gastronomie » du Routard des Canaries.

[Petit interlude informatif pour les gastronomes curieux : Les papas arrugadas, ou « pommes de terre ridées », sont des petites pommes de terre cuites avec leur peau dans l’eau salée, de façon à ce que le sel cristallise sur la peau. Elles sont dégustées comme accompagnement ou comme tapas et souvent servies avec le fameux mojo, sauce emblématique des Canaries. Le mojo rouge est préparé à base de poivrons rouges, le mojo vert à base de coriandre et autres herbes, et les deux sont généreusement aillés. Ils peuvent être dégustés sur du pain, avec des papas, en accompagnement de plats de viande ou de poisson… les possibilités sont infinies, et chaque chef.fe canarien.ne a sa recette de mojo.]

Un dicton canarien dit : « Quand vous débarquez à la Graciosa, vous pouvez enlever vos chaussures et oublier le reste du monde ! »

Sitôt dit, sitôt fait : une fois notre repas englouti, nous laissons nos pas nous porter dans le village, puis sur les chemins de sable de l’île, le long du rio, dans les incroyables lumières de fin d’après-midi qui viennent sublimer le décor lunaire qui s’offre à nous. Végétation basse, pierres noires et ocres, scories volcaniques à gogo… Le dépaysement est total et nous planifions un tour de l’île à pied pour le lendemain, car nous devons malheureusement quitter La Graciosa rapidement pour retrouver les parents de Manon à Lanzarote dans les jours à venir.

Nous passons donc la journée du lendemain à « marcher dans le sable » (mais pas à « se sentir coupables » 😉 ) entre les volcans, les traces des anciennes coulées de lave et leurs mille nuances de couleurs, les vagues de l’Atlantique bien agitées par l’alizé qui viennent ici se briser après une longue course ininterrompue depuis l’Europe continentale, le 2nd petit village de l’île (Pedro Barba) et les eaux limpides de la sublime plage de Las Conchas, cernée par les volcans et toujours peu fréquentée. La baignade y étant très dangereuse, c’est avec beaucoup de prudence que nous parvenons à nous y « tremper » brièvement, entre 2 lames : la température est parfaite, dommage !

Une petite caña de clarita (bière légère au citron) sur la plage pour trinquer à la grâce de La Gracieuse et conclure cette journée en beauté : bellissima Graciosa, ne change pas, nous reviendrons !

• Relâche à Arrecife, Lanzarote
Du 23 au 25 septembre 2021

Nous quittons La Graciosa à regret pour une navigation d’une trentaine de milles jusqu’à sa grande sœur toute proche, Lanzarote, qui elle aussi est pleine de promesses.

Devant composer avec une houle de côté bien prononcée, nous sommes bringuebalées pendant les deux premières heures car le vent est quasi absent, contrairement aux prévisions : le comble pour nous qui nous attendions à un alizé soutenu ! Heureusement, Éole daigne finalement nous honorer de sa présence juste au moment où nous changeons de cap pour faire route directe vers notre destination, nous retrouvant du même coup avec les vagues dans le dos, qui viennent alors nous pousser pour des jolis surfs… Le vent forcira jusqu’au soir, pour atteindre 20 – 25 nœuds établis à notre arrivée au port d’Arrecife.

Comme souvent, les premières heures de la journée passées à attendre le vent nous incitent à mettre la ligne à l’eau : un morceau de poulpe (pioché dans les restes de notre dîner de la veille) comme appât de luxe pour venir appuyer les arguments de notre leurre rose fluo de compèt’ et, en quelques minutes, une petite bonite vient mordre à l’hameçon… C’est presque trop facile, à ce stade ! Nous peaufinerons avec cette 2e prise du voyage notre méthode de pêche et de levage de filets, puis nos recettes spéciales « bonita muchacha » : d’abord les simples et indémodables sashimis ultrafrais, puis des morceaux de bonite marinés dans un condiment sauce soja – miel – épices avant d’être panés dans un mélange de graines de sésame et de poudre de noisettes et frits dans l’huile d’olive à la poêle : un régal inspiré par Sophie, la talentueuse cheffe-navigatrice-youtubeuse de @Ryan & Sophie Sailing.

Les 2 jours suivants, nous prenons nos quartiers dans l’allée des petits bateaux (oui oui, ça y est, Kannjawou sera officiellement considéré comme un « barquito » à partir d’ici !) de la marina Lanzarote, à Arrecife. Nous les consacrons à des grosses sessions de lessive, ménage, petites réparations post-traversée, courses et préparation d’un intense programme d’exploration de l’île pour la semaine suivante. Nous partons aussi à la découverte d’Arrecife, la capitale de Lanzarote, dont le centre-ville plein de charme et l’esprit authentique, peu touristique, peuplé de vrais canariens, nous séduit beaucoup. La marina est toute neuve, bien équipée, très peu coûteuse, proche du centre, et remplie de voiliers de voyage et de leurs équipages voyageurs. Tous les services essentiels sont situés à proximité, notamment plusieurs shipchandlers à prix raisonnable : que demander de plus ?! Le seul inconvénient est de taille : à partir du jeudi soir et jusqu’au dimanche, les bars de nuit situés sur le quai, à seulement 50 m de Kannjawou, sont animés et très bruyants jusqu’à près de 4h du matin… Malgré les boules Quies neuves et super efficaces fraîchement acquises qui atténuent le bruit notablement, nous avons l’impression d’avoir transformé notre maison flottante en boîte de nuit !

Sur les pontons, nous retrouvons les équipages – tous deux rencontrés à Sines au Portugal – de Mangata (brièvement) et de Joséphine, dont toute la petite famille a décidé de s’établir 1 mois à Arrecife, séduits en arrivant par les facilités et la douceur de vivre ici. Nous faisons également la connaissance d’un jeune couple belge à bord du Pilchard, charmant petit voilier de 9,50 m (un Marina 95), qui ressemble pas mal à notre Kannja’ ! Sammy et Robin sont passés par la Norvège, l’Écosse et l’Irlande avant de rejoindre les eaux plus chaudes des Canaries : un périple qui nous fait rêver…

• Tourisme intensif (sans tourisme de masse) en famille
Du 26 septembre au 1er octobre 2021

Le 26 septembre, nous sommes rejointes par les parents de Manon, qui ont posé leurs valises dans un hôtel du sud de l’île et ont embarqué dans une rutilante Fiat 500 rouge décapotable de location. À son bord, nous passons la semaine à quadriller la belle Lanzarote pour en découvrir tous les attraits, sur des routes impeccables traversant de grands champs de lave noire ou longeant la côte aux eaux limpides mais souvent très agitées, dans un vent à décorner les bœufs.

Lanzarote est une île très spécifique des Canaries : très aride, ce sont partout des paysages volcaniques noirs, des cactus et très peu de végétation autre, excepté à quelques rares endroits où des colonies de palmiers viennent reposer le regard des cônes volcaniques et des coulées de lave, comme dans la vallée d’Haria.

Mais ce qui fait sa richesse particulière, est le travail de l’artiste local César Manrique : amoureux de son île et des richesses de sa nature, il a œuvré toute sa vie pour la mettre en valeur en harmonie avec les paysages locaux et en cohérence avec les coutumes et l’esthétique de l’île, mais surtout pour la préserver du tourisme de masse qui a ravagé des kilomètres de côte sur d’autres îles des Canaries. L’urbanisation est très encadrée à Lanzarote, et toute infrastructure ne doit pas dépasser un certain nombre d’étages afin de préserver le paysage. L’unité architecturale (bâtiments blancs traditionnels canariens, aux portes et volets bleus en bord de mer et verts à l’intérieur des terres) est partout respectée : une vraie harmonie et authenticité se dégage quand on parcourt l’île. La patte de Manrique est présente partout, comme à travers des œuvres d’art installées dans les lieux de passage.

Nous nous laissons donc porter sur les sites touristiques pensés par Manrique : le musée d’art moderne d’Arrecife, les incroyables caves volcaniques aménagées de Jameos del Agua ; le jardin de cactus qui regroupe des espèces de cactus du monde entier ; ou encore la fondation Cesar Manrique, établie dans le domicile principal (et hors du commun) de l’artiste à Tahiche.

Nous n’oublions pas non plus les beautés naturelles de l’île, des grottes sculptées par les coulées de lave de Cueva de los verdes en passant par la sublime plage de Papagayo et ses milles poissons, ou par la surprenante Laguna Verde et les eaux furieuses de Los Hervideros (qui nous rappellent le trou du diable en Vendée !), sans oublier bien sûr l’incontournable et sidérant parc national de Timanfaya, résultat des grandes éruptions volcaniques des 18e et 19e siècles.

Enfin, nous adorons nous perdre dans les ruelles des petits villages blancs (très) tranquilles de Teguise, Haria ou El Golfo, où nous nous attablons généralement à l’heure espagnole pour étudier avec grand sérieux les spécialités culinaires canariennes.

Les Canariens ont montré une grande ingéniosité pour tirer parti de cette terre particulièrement aride, grâce à un modèle agricole particulier, qui sert surtout pour la culture de la vigne mais est repris comme modèle de culture général : chaque cep de vigne est protégé de la chaleur et des vents dominant par un petit muret en pierre en arc-de-cercle, au sein duquel est déposé du picon, un gravier volcanique présent en quantité sur l’île qui permet de maintenir l’humidité au pied de chaque végétal. En résulte un vin volcanique réputé et fort goûteux, dont le fameux « vin de malvoisie », mais également des paysages agricoles uniques et particulièrement poétiques, ensembles de demi-lunes construites à flanc de volcan, petites virgules grises au cœur vert sur fond de roche noire…

Entre 2 journées de visites, nous prenons le bus pour rejoindre LE spot de surf le plus réputé de l’île : caleta de Famara. Une longue plage du nord de l’île, adossée à un petit village blanc peuplé essentiellement de surfeurs de toutes nationalités, dans une ambiance détendue qui plaît particulièrement à la capitaine… Sur le papier, la promesse était belle ! C’était sans compter sur un vent infernal, pas vraiment annoncé par la météo, et qui, en plus de ruiner les belles vagues de Famara, vient nous fouetter dans une véritable tempête de sable de l’au-delà alors que nous nous débattons, nos planches à la main, le long de la plage… C’est ce qu’on appelle un échec cuisant ! Nous nous consolons en dégustant nos premiers barraquito à la terrasse d’un petit café. Barraquito, kèsaco ? Le barraquito est un « cocktail » typiquement canarien, à base de café, de lait, de mousse de lait, de lait concentré sucré et d’une liqueur jaune à base de plantes nommée « Licor 43 » : servi dans un verre transparent avec des couches successives bien visibles, saupoudré de cannelle, avec un zeste de citron, c’est un vrai délice !

Cette semaine de tourisme intensif nous fatigue, mais nous fait beaucoup de bien : quel bonheur de passer de beaux moments en famille et de se consacrer entièrement à la découverte d’une nouvelle terre, en laissant de côté quelques jours l’organisation et les tâches liées à la vie de bateau ! Malgré tout, nous n’aimons pas délaisser notre Kannjawou trop longtemps, et nous avons hâte de l’emmener à nouveau goûter à la houle et au vent des Canaries… La semaine se termine vraiment trop vite et l’heure des au-revoirs est un peu triste… mais Lanzarote n’a presque plus de secrets pour nous par les terres, alors nous avons hâte d’aller l’admirer un peu depuis la mer !

• Un dernier plouf à Lanzarote
2 – 3 octobre 2021

Après une journée de remise en place des rouages de la vie en voilier (shopping chez le shipchandler, avitaillement au marché, pleins de gazole et d’eau, rinçage du pont, petits bricolages et bières sur le port avec les copains bateaux), nous quittons la marina Lanzarote à regret le 2 octobre : sa position centrale et ses commodités en font un point de chute parfait pour qui veut visiter Lanzarote, avis aux amateurs !

La navigation est brève mais, encore une fois, assez musclée, et nous croisons les doigts pour que le mouillage que nous avons repéré au sud de l’île soit abrité des vents et de la houle assez soutenus qui nous accueillent quand nous sortons du port. Nous avons vraiment envie de passer une dernière nuit au mouillage pour dire au revoir à Lanzarote avant de voguer vers sa voisine toute proche, Fuerteventura.

Il nous faudra du temps pour trouver le bon endroit où jeter la pioche, en évitant les autres bateaux et les cailloux, bien visibles au fond de l’eau tant elle est claire et transparente. Le mouillage, situé entre la célèbre playa de Papagayo (plage du perroquet) et la playa Mujeres, en face de volcans sauvages, est splendide. Une fois installées, nous sommes sûres que l’ancre tiendra, malgré les rafales qui soufflent encore en cette fin d’après-midi. Nous pouvons donc enfiler tout de suite maillots de bain, masques, palmes et tubas pour sauter à pied joint dans la piscine turquoise à 23 ° C. Sitôt la tête sous l’eau, nous recevons la visite de nombreux poissons peu farouches : sars, oblades, dorades ou encore poissons perroquets rouges et jaunes, il y en a de la vie là-dessous !

Nous prenons le traditionnel apéro-coucher de soleil, passage obligé des beaux mouillages, alors que le vent se calme presque complètement… La nuit n’en sera pas calme pour autant, car Kannjawou, qui n’est plus maintenu nez au vent, se place alors en travers de la houle et se fera secouer toute la nuit. Peut-être une façon pour la mer de nous inviter à continuer notre périple canarien ? Demain, direction Fuerteventura !


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