Entre La Gomera et Tenerife, une fin d’été aux Canaries

Publié par Manon le

Entre La Gomera et Tenerife,
une fin d’été aux Canaries

Du 10 août au 21 octobre 2022 – 133 milles parcourus
À bord : Marion et Manon

• Saluer La Gomera, le temps de quelques ploufs à Valle Gran Rey
Du 10 au 14 août 2022

Nous quittons La Palma le 10 août au matin, en saluant au passage, par la descente de Farsadennec, une Yuna encore endormie, épuisée par les folles journées de visites et de fiesta avec le frère de Florian et sa famille : elle nous dira plus tard nous avoir entendu dans ses rêves !

La navigation se passe dans de superbes conditions, accompagnées par les dauphins encore une fois alors que nous profitons jusqu’au bout de la vue sur les barrancos escarpés de la isla bonita. En arrivant à la pointe ouest de La Gomera, cependant, le vent commence à forcir de plus en plus : de 15-16 nœuds nous passons très rapidement à 30 nœuds, toujours dans le dos heureusement, accompagnés d’une mer hachée très désagréable qui vient nous arroser régulièrement. Le vent s’enroule le long de la côte et nous poursuit, toujours aussi énervé, pendant presqu’une heure qui nous semble bien longue, comme toujours dans ces moments-là…

Et puis d’un coup, en 1 minute, le calme. Plus un souffle. Notre petit bout de génois se met à battre et Kannjawou s’immobilise dans la houle. À l’anémomètre, 2 nœuds au compteur. Voilà une belle démonstration des incroyables effets de sites des Canaries !

C’est donc au moteur que nous parcourons les derniers milles jusqu’à Valle Gran Rey, jubilant d’aller planter la pioche comme nous avons si peu d’occasions de le faire dans les contrées rouleuses et exposées de l’archipel. Cela fait des mois et des mois qu’on nous vante les mérites de ce mouillage, et la vue sur les falaises ocre et l’eau turquoise, dans cette grande baie paisible, vaut effectivement le détour. Une fois embrasée par les rayons du soleil couchant, elle vaut même bien plus que le détour et invite à s’y attarder longtemps…

Nous n’y passerons que 4 jours, dans un roulis incessant et épuisant qui fait valdinguer Kannjawou d’un côté à l’autre jour et nuit presque sans répit. Leçon retenue : Valle Gran Rey c’est sympa, mais c’est si bien abrité du vent qu’il faut mettre une ancre arrière si on ne veut pas se positionner en travers de la houle !

Pendant 4 jours, nous profitons donc des baignades dans l’eau bleu électrique, faisons chauffer le petit moteur d’annexe en oubliant de faire le mélange d’huile dans l’essence (hum hum, heureusement nous l’arrêtons à temps ! et réussissons à nous faire remorquer pour le retour), mangeons de délicieuses glaces artisanales à La Crema, explorons les petites rues de Valle Gran Rey et ne nous lassons pas d’admirer et de nager avec les multiples raies très peu farouches qui ont élu résidence dans le petit port et s’enfouissent dans le sable jusqu’à seulement quelques mètres de la plage (Marion marche même sur l’une d’elles par inadvertance : très surprenant de sentir un sol mou se dérober soudain sous ses pieds !).

Nous nous levons aux aurores le dernier jour pour aller randonner non loin de Valle Gran Rey. Pendant 2 heures, nous remontons un petit ruisseau au fond du barranco de Arrure, les pieds dans l’eau, slalomant pour éviter les trous d’eau et la gadoue, et escaladant les rochers avec agilité : une rando pleine de rebondissements ! À l’arrivée, nous découvrons la jolie petite cascade de El Guro. C’est toujours un bonheur de trouver de l’eau douce dans la nature après tant de temps passé sur les îles arides !

Nous remettons les voiles le 14 août au matin, direction le sud de Tenerife. Cette navigation variée constitue encore une fois une bonne illustration des effets de site aux Canaries : après quelques heures au moteur dans le dévent de La Gomera, nous essuyons un courant contraire mais toujours aucun vent en nous dégageant de l’île… Ce n’est que presque à mi-chemin dans le (long) chenal entre la Gomera et Tenerife que nous touchons enfin du vent, la fameuse accélération qui rend l’accès au port de San Sebastian à La Gomera compliqué la majeure partie du temps : ce n’est pas là que nous nous rendons, le vent nous est donc favorable et nous pouvons déployer les voiles et éteindre le moteur. Pendant quelques heures, jusqu’à la pointe sud de Tenerife, nous avançons à bonne allure en glissant très agréablement sur l’eau. Nous sourions paisiblement et nous nous voyons déjà arrivées à destination.

C’était sans compter sur le 3e tiers de cette navigation. Même si la distance qu’il nous reste à parcourir est à peine de 10 milles, le vent tourne peu à peu alors que nous dépassons la pointe de Tenerife pour rejoindre la marina San Miguel, et se met à forcir de plus en plus. Bientôt, nous essuyons 20 nœuds de vent dans le nez et les vagues courtes et agressives associées : un vrai bonheur… Nous avançons à une allure d’escargot face aux éléments et la fin du trajet est évidemment interminable dans ces conditions.

D’autant que l’accueil à la marina n’est pas très chaleureux : alors que les employés insistent pour que nous nous amarrions d’abord au ponton d’accueil alors que nous avons réservé une place, nous leur faisons comprendre que, vu les 20 nœuds de vent qui rendent les manœuvres plus compliquées, nous préférons aller directement à notre place : ils finissent par accepter en soupirant ostensiblement, puis nous demandent d’aller de toute urgence au bureau du port (pourtant fermé, il faudra revenir le lendemain pour payer la réservation pour le mois à venir) pour payer la 1re nuit, sans doute au cas où nous aurions envie de partir aux aurores sans payer, alors que nous leur avons déjà communiqué tous nos papiers.

Cette mauvaise première impression ne s’améliorera pas vraiment pendant les (finalement) 2 mois que nous passerons à la marina San Miguel : personnel peu aimable et pas vraiment compétent pour aider à l’amarrage, installations mal entretenues (pontons, pendilles, sanitaires…), souvent pas d’eau chaude dans les douches, poubelles qui débordent constamment… Mais nous sommes à l’abri et bien amarrées, et c’est bien la 1re fonction d’un port, bien que le vent souffle quasiment tous les après-midis très fort juste derrière la montaña Roja et sa zone d’accélération.

• Copains et poussière de fibre de verre à Tenerife, ou la fin de l’épopée des cadènes Du 15 août au 15 octobre 2022

Notre retour à Tenerife est motivé par 2 raisons, l’une qui nous réjouit, l’autre qui nous désole un peu…

– Les copains !
D’une part, nous accueillons à bord pendant 5 jours nos amis Rose et Arnaud, qui vivent sur Kannjawou leurs premiers jours en voilier. Même si nous resterons sagement amarrés au port, le léger mouvement permanent et l’organisation pour vivre à 4 dans un si petit espace seront un dépaysement pour eux.

Nous louons une voiture pour l’occasion et explorons à un rythme soutenu les multiples visages de Tenerife, que nous commençons à bien connaître. Des mille nuances de couleurs des curieuses formations rocheuses et des coulées de lave du parc national du Teide aux barrancos luxuriants de la vallée de Masca et aux falaises escarpées de Los Gigantes se jetant dans la mer ; des sentiers aux vues spectaculaires de l’Anaga aux petites ruelles coloniales de La Orotava et La Laguna en passant par les belles piscines du parque maritimo de Santa Cruz.

Nous leur proposons également évidemment un tour d’horizon culinaire des Canaries et assistons à une démonstration de danses traditionnelles locales fort instructive.

– Et le chantier…
Mais, d’autre part, une fois les « Pouss’ » déposés à l’aéroport, nous n’avons plus le choix que de faire face au problème qui ne nous lâche pas depuis plusieurs mois : nos ancrages de cadènes de bas haubans douteux, problème encore irrésolu puisque la belle réparation effectuée sur le pont s’est fissurée dès les premières pressions, pendant notre navigation vers La Palma. Nous faisons face à l’évidence : tant que nous n’aurons pas modifié la façon dont les efforts des bas haubans s’exercent, nous ne serons pas en sécurité, d’autant plus que la réparation du pont imbibé nous a amené à faire une belle découpe bien nette qui ne demande qu’à sauter, entraînant tout le gréement et le mât avec… Exactement ce dont on rêve quand on s’apprête à parcourir plusieurs milliers de milles loin des côtes !


Nous sommes un peu abattues et nous sentons vraiment démunies face à l’ampleur des travaux qu’il faudrait réaliser, sans connaître un pro de confiance dans les parages pour s’en charger… Mais le destin va nous donner un sacré coup de pouce en mettant sur notre route Gérard, que nous avions rapidement rencontré à Santa Cruz de Tenerife par l’entremise de nos voisins de ponton Dibona, et avec qui nous avions déjà discuté de notre problème de cadènes. Bloqué au port de San Miguel dans l’attente d’un nouveau moteur pour son superbe voilier Chong Hei qu’il a construit lui-même, il constate les dégâts sur le pont de Kannjawou avant même que nous le croisions et nous annonce aussitôt : « Bon, c’est pas joli joli, mais ne vous inquiétez pas, on va construire des renforts pour reprendre les efforts des cadènes ! ».

Son offre si spontanée de nous aider et son aplomb face à l’ampleur des travaux nous désarçonne un peu, mais après une longue réflexion tous les trois sur la meilleure façon de procéder, nous nous lançons dans les travaux avec détermination. Objectif : pouvoir quitter la marina mi-octobre, avec 3 semaines de retour en France entre les travaux pour saluer nos proches. Gérard, passionné des travaux en fibre de verre et habité par une incroyable énergie, nous épaule pour chaque étape du processus, nous donnant tous ses « trucs », de l’achat de tout le matériel (toute une journée d’expédition aux 4 coins de Tenerife) aux astuces de pro.

Le boulot est ingrat, surtout en vivant à bord tout le long des travaux : la moitié du bateau est démontée et sans dessus-dessous ; nous y grattons et ponçons la fibre de verre, répandant une fine poussière très abrasive et irritante dans nos vêtements et dans le moindre recoin du bateau (malgré nos masquages et protections soigneusement appliqués auparavant). Gérard nous livre tous les secrets du travail de la fibre de verre, nous montrant comment procéder sur les parties les plus complexes avant de nous faire faire nous-mêmes à chaque étape.

Les différentes phases de travaux seront fastidieuses mais tout se goupille finalement bien, malgré beaucoup de sueur, de nombreux allers-retours pour la commande et la réalisation de nouvelles contreplaques en inox sur mesure (tout ça en espagnol dans les ateliers de soudure, por favor ! Rien de tel pour progresser en langue !) et surtout des jours de pluie battante comme nous n’en avons jamais vu aux Canaries, où il ne pleut que très très rarement en été, alors que les cadènes sont enlevées (il y a donc des trous dans le pont) et que la résine epoxy avec laquelle nous travaillons déteste toute forme d’humidité.

Le 16 octobre, le contrat est rempli : nos cadènes flambant neuves solidement fixées dans nos renforts de cadènes flambant neufs (et largement surdimensionnés), le gréement remonté et bien réglé, tout l’intérieur enfin remonté et rangé à sa juste place, nous quittons enfin San Miguel avec Kannjawou, soulagées et tellement reconnaissantes d’avoir trouvé Gérard sur notre route…

La marina et sa localisation en plein milieu d’une zone touristique sans âme et sans services essentiels ne nous ont pas charmées, mais nous y avons fait de très belles rencontres : Gérard bien sûr, mais aussi la petite famille à bord de Pluie de Nuit, Cécile, Gaël et Jean, que nous espérons recroiser bientôt sur la route. Nous avons aussi eu un coup de cœur pour le joli village de pêcheurs plein de charme de Los Abrigos, première destination de nos balades à pied journalières qui nous ont permis de sortir la tête des travaux pour piquer une tête dans le petit port, mais aussi pour l’incroyable marché de producteurs locaux qui se tient à 4 km de la marina et où nous trouvons des montagnes de délicieux fruits et légumes du coin à prix doux, une cafétéria où avaler sur le pouce son barraquito du matin accompagné d’une petite pulguita, et le meilleur carrot cake que nous ayons jamais goûté…

Nous nous retournons une dernière fois pour saluer le sommet de notre vieil ami le Teide, qui nous fait coucou entre les nuages… Mais nous ne partons pas bien loin de son ombre bienveillante, puisque nous retrouvons La Gomera, pour découvrir en 1 semaine le plus possible de cette petite île dont on nous a tant vanté les merveilles.

• 1 semaine pour découvrir La Gomera
Du 16 au 21 octobre 2022

Nous établissons notre camp de base dans le port de San Sebastian de La Gomera, la charmante petite capitale de l’île, et ne traînons pas à décortiquer le réseau de bus pour partir en exploration aux 4 coins de la Gomera.

Randonnée au nord de l’île dans la sublime région de Vallerhermoso
Petit village d’Agulo, ses vues incroyables et ses ruelles à l’architecture coloniale
Point de vue depuis le vertigineux mirador de Abrante

Nous trouvons donc les paysages de la Gomera vraiment magnifiques, mais après presqu’un an passé dans les paysages canariens, ce sont ses spécificités culturelles notables qui nous attiraient le plus ici. Plus qu’ailleurs, nous semble-t-il, de nombreuses pratiques héritées des Guanches (les premiers habitants des Canaries) ont subsisté ici. Peut-être du fait d’une colonisation moins violente ici de ces peuples d’origine berbère, et d’une assimilation par de nombreux mariages « mixtes » des populations ?

Première spécificité, le fameux silbo gomero, ce langage sifflé unique utilisé par les bergers et les cultivateurs pour communiquer d’un bout à l’autre des vallées si escarpées de la petite île. Comme la majorité des langages sifflés, il ne s’agit pas d’un langage à part entière mais d’une extension sifflée de l’espagnol, dont on reprend les accents toniques et les syllabes par les sifflements, dans une maîtrise assez épatante pour les non-initiés comme nous. Menacé d’extinction (l’arrivée du téléphone portable y est sans doute pour quelque chose !), le silbo est aujourd’hui protégé par plusieurs initiatives locales qui veillent à sa conservation et à sa transmission aux plus jeunes générations. À San Sebastian, on entend régulièrement des groupes d’amis s’interpeller en sifflant ainsi d’un bout à l’autre du port : dépaysant !

La poterie traditionnelle, réalisée sans tour et initialement uniquement par les femmes, mais aussi l’utilisation de l’astia, grand bâton à bon pointu grâce auquel les bergers pouvaient dévaler à toute vitesse les versants à pic des vallées montagneuses, perdurent également à La Gomera. 

Vous nous connaissez, nous faisons bien sûr honneur aux spécialités culinaires locales : potage de cresson des montagnes, fromage de chèvre, mousse de gofio au « miel » de palme (la Gomera totalise à elle seule plus de palmiers que toutes les autres îles de l’archipel réunies !), et le fameux almogrote que nous avons déjà maintes fois goûté sur les autres îles, mais qui est typiquement gomero : une délicieuse tartinade à base de fromage de chèvre, de poivron, de piment, d’ail et d’huile d’olive, miam !!

Nous quittons La Gomera le 21 octobre après une dernière journée au calme dans la mignonne San Sebastian, qui résume bien à elle seule l’ambiance qui règne sur l’île. Toujours dans l’ombre de sa grande sœur Tenerife toute proche, plus grande et plus dynamique, qui attire les jeunes générations à la recherche d’une vie meilleure, la petite île garde une identité bien marquée et une vraie douceur de vivre.
Nous mettons à présent les voiles vers la dernière et la plus occidentale des îles de l’archipel, qui nous attire aussi beaucoup : El Hierro, nous voilà !


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