Entre fiestas et chantiers : la vida loca à Tenerife

Publié par Manon le

Entre fiestas et chantiers : la vida loca à Tenerife

Du 23 avril au 22 juillet 2022 – 30 milles parcourus
À bord : Marion et Manon

Le 23 avril, après 3 mois de dur labeur comme saisonnières à Megève, et près de 6 mois en tout loin de Kannjawou, nous retrouvons enfin notre petite maison flottante à Tenerife… Hormis une bonne couche de poussière et un peu d’usure due au soleil et au ragage, tout va incroyablement bien à bord. Le climat tempéré et sec des Canaries est décidément idéal pour les bateaux !

Nous sommes heureuses de revenir à bord et de retrouver Tenerife, les Canariens et les croquetas pour quelques mois, mais pour l’instant, l’heure est au bricolage puisque nous avons rendez-vous au chantier pour sortir Kannjawou de l’eau.

• Chantier… et chantiers

– 3 semaines à sec au varadero Anaga
Le 2 mai, nous quittons donc la marina de Santa Cruz aux aurores, direction le Varadero (ou « chantier » en espagnol) Anaga, à à peine 3 milles au nord de la ville. La sortie d’eau est pimentée par une rupture impromptue de nos câbles de direction, nous bloquant en marche arrière quelques centimètres avant de nous engager dans les sangles du travel lift… Nous devrons nous y faire remorquer par les employés du chantier, heureusement très réactifs !

Une fois Kannjawou bien calé à sec, nous attaquons la to do list d’entretien annuel, mais aussi de mille autres bricolages, comme on en a l’habitude en bateau… Entretien de la coque et de l’hélice, antifouling, polish, changement des anodes, entretien des vannes, vernis divers, changement des fameux câbles de direction du moteur, etc etc etc.

Nous passons quelques nuits à bord mais, même si nous pouvons utiliser les sanitaires du chantier, la vie hors de l’eau dans un bateau en chantier n’est pas simple, et nous sommes bien contentes d’avoir loué un appartement dans la ville la plus proche. San Andres, à mi-chemin entre le village de pêcheurs et la petite ville balnéaire, est très agréable à vivre avec sa grande plage de sable blond (importé du Sahara !) au pied des falaises de l’Anaga, ses petites ruelles, ses fresques de street-art et ses restos de poisson. Nous y prenons vite nos habitudes, et profitons d’être en appartement pour faire des conserves maison et des lessives à gogo.

– L’épopée des cadènes, volets 1 et 2
Parmi tous les dossiers de notre to do list évolutive, il en est un qui nous donne du souci depuis déjà plusieurs années : ce petit soulèvement du pont au niveau de 2 cadènes de bas haubans, côté tribord, dû à un (gros) défaut de conception des Gib’Sea 31 (et de plusieurs autres Gib’Sea de l’époque !). Et, malgré notre décision de profiter d’avoir du temps devant nous au chantier pour nous en occuper, nous ne savons pas encore que ce dossier ne sera toujours pas clos quand nous quitterons Santa Cruz de Tenerife 3 mois plus tard.

Commence donc alors ce que nous nommerons ici « l’épopée des cadènes », qui nous vaudra beaucoup de questionnements, de cheveux blancs, de déplacements en bus ou à pied d’un bout à l’autre de l’île et de crises de nerf, et nous coûtera beaucoup d’argent. Le « volet 1 » de cette épopée se déroule au chantier et implique un renforcement en fibre par l’intérieur ainsi qu’un changement des 4 cadènes de bas hauban.

Le « volet 2 » se déroule presqu’un mois après la remise à l’eau de Kannjawou, de retour au port de Santa Cruz, quand nous nous rendons compte que, du fait des infiltrations d’eau autour des 2 cadènes qui s’étaient soulevées avant même notre achat du bateau, le noyau en balsa d’une grande zone du pont côté tribord est complètement imbibé et, par endroit, bien pourri… Ce qui implique donc de scalper toute la partie supérieure du pont, de retirer tout le bois humide, puis de reboucher et refermer le tout le plus solidement et étanchement possible.

Ceci en faisant appel à un professionnel pas très fiable qui, après que le chantier a été retardé d’une semaine par un temps pluvieux (ce qui n’arrive presque jamais aux Canaries !), fera encore traîner les choses beaucoup plus longtemps que nécessaire… mettant encore une fois nos nerfs à dure épreuve.

– Divers bricolages à bord au port
Nous mettons à profit ce temps bloquées au port à Santa Cruz de Tenerife pour continuer nos bricolages, améliorations et entretiens en tous genres à bord, de l’entretien annuel du moteur au nettoyage des fonds de cale, de l’ajout d’une tablette rabattable dans la cuisine à l’installation de notre nouvelle chaussette de spi, du nettoyage du teck à l’entretien des inox, du changement de notre capote de roof pour une flambant neuve à la transformation d’une (demi) penderie en un super placard à bricolage… et j’en passe beaucoup, vous vous en doutez !

Vivre à bord nous permet d’optimiser chaque jour notre bateau, et d’imaginer toujours de nouvelles solutions pour nous faciliter la vie, augmenter le stockage et anticiper nos traversées et nos mouillages futurs dans des zones plus isolées.

– Tournage du boat tour
Après un gros ménage et rangement, nous prenons enfin le temps de filmer une visite complète du bateau, le fameux « boat tour » que nous avons hâte de monter et de partager en vidéo sur Youtube. Quel plaisir de voir notre maison dégagée, rangée et propre pour l’occasion : même si nous essayons toujours de la garder ainsi, le bazar s’installe en un rien de temps dans un si petit espace !

• Réjouissances canariennes

Le printemps et l’été, les réjouissances sont très nombreuses à Santa Cruz et nous aurons maintes occasions de prendre la mesure de l’incroyable sens de la fête des Canariens. Il suffit de quelques notes de musique pour que tout le monde sans exception entonne en chœur les grands hits espagnols et se mette à danser avec passion. Nombre de festivals de musique, de gastronomie, de danse ; nombre de concerts gratuits en plein air ; nombre de fêtes religieuses et leurs processions rythment la vie locale. Nous sommes aux premières loges pour admirer depuis le cockpit les nombreux feux d’artifice tirés pour l’occasion : le grand luxe !

– Dia de la cruz
Le 3 mai est un jour férié à Tenerife (et dans d’autres villes d’Espagne). On y célèbre le « jour de la croix », mais aussi en même temps l’anniversaire de la création de la ville de Santa Cruz de Tenerife. Pour l’occasion, des habitants, artistes et écoles locales construisent et décorent pendant des mois de superbes croix, avec des fleurs ou d’autres matériaux. Elles sont exposées le 3 mai sur les « ramblas », ces grands boulevards qui font le tour de la ville et dont le centre est occupé par une promenade piétonne.

– Dia de Canarias

Le 30 mai, rebelotte, nouvelle fête, nouveau jour férié, cette fois on fête le jour des Canaries ! Tout un week-end de réjouissances autour de l’histoire et des traditions canariennes, avec procession en costumes traditionnels, concours de gastronomie (avec dégustation gratuite pour tous), concerts, exposition d’animaux typiques des Canaries, ou encore élection des « reinas de mayo », les « reines des fêtes de mai » en tenue traditionnelle de leur île.

– Carnaval de Santa-Cruz
Mais LE plus grand évènement du début de l’été reste bien sûr le fameux carnaval de Santa Cruz de Tenerife… Ordinairement programmé en février, avant le carême, il a été décalé à la fin juin pour limiter les risques liés au covid et pouvoir avoir un vrai défilé dans la rue. Pour cause, le carnaval de Santa Cruz attire énormément de monde et est réputé comme étant le 2e plus grand carnaval du monde après celui de Rio, c’est dire ! Les Tinerfeños (habitants de Tenerife) préparent le carnaval pendant toute l’année et attendent avec une grande fièvre ce moment de réjouissances partagées par tous : autant vous dire qu’après en avoir été privés pendant 2 ans, ils trépignaient d’impatience de pouvoir fêter sans retenue ce carnaval post-covid.

Cette année, le programme est un peu bousculé par rapport aux traditions. Tout commence avec 15 jours d’évènements en différents lieux clos de la ville (élections des reines du carnaval ainsi que de leurs homologues parmi les enfants et les seniors, concours de groupes de musique, danseurs et comédiens les « murgas » et les « comparsas »). Nous prenons des places pour assister à l’élection de la reina infantil, autrement dit la « miss carnaval » des enfants. Comme les reinas adultes, celles-ci défilent dans d’incroyables robes immenses, montées sur de grandes structures métalliques sur roulettes, dans une explosion de paillettes, de plumes et autres décors thématiques.

Ce sont ensuite 4 jours d’affilée de fête en la calle (« dans la rue ») qui clôturent en beauté le carnaval. Pendant ces 4 jours, tout le monde sans exception est déguisé avec beaucoup de créativité et de fantaisie, et tient son rôle avec sérieux. La fête bat son plein dans un très bon esprit, toujours avec bienveillance, et beaucoup de talent pour la danse ! Poussées par l’enthousiasme de Lola, qui travaille à l’accueil de la marina, nous jouerons le jeu et imaginerons nos propres costumes : pour 4 jours, nous nous transformons en la Pamela Anderson de Bay Watch et en sa naufragée, miraculeusement sauvée des flots…

Le jeudi soir, nous assistons à l’enterrement de la sardine, cortège funèbre parodique dans la plus pure tradition carnavalesque (renversement des valeurs et des rôles de la société) qui marque traditionnellement la fin du carnaval et le début du carême. Cette année cependant, cet enterrement est un peu spécial : on n’enterre pas la sardine, mais le covid ! La sardine arrive donc, en tête de cortège, prisonnière d’un covid géant qui sera brûlé en bonne et due forme au bord de l’eau : ça se fête bien sûr avec un beau feu d’artifice, puis des concerts, de la musique et des danses à tous les coins de rue jusqu’au lever du jour.

Le lendemain, c’est le défilé du carnaval de nuit : les groupes de danse et musique à la brésilienne, regorgeant notamment de floppées de percussionnistes talentueux et passionnés, défilent en costumes, entrecoupés de personnages en costumes variés et incroyables.
On retrouve le même genre de défilé le lendemain pour le carnaval de jour, avec toujours les concerts et la fiesta dans tous les coins du centre-ville jusqu’au petit jour, pour la 3e nuit consécutive !

Le dimanche, après une nouvelle journée de carnaval (sans défilé), la soirée de clôture est dédiée au concours des meilleurs groupes de percussion et danse « Ritmo y armonia », qui défilent l’un après l’autre en faisant la démonstration de leurs plus belles chorégraphies, parfois vraiment spectaculaires. Tout se finit bien sûr avec un superbe feu d’artifice, qui laisse place à un silence assourdissant après 4 jours de fiesta presque non-stop dans la rue…

• Vie quotidienne, comme de vraies locales

Notre séjour prolongé à Santa Cruz nous permet, comme nous aimerions tant de fois le faire quand nous apprécions nos lieux d’escale, de vivre comme des locales et de nous imprégner de la vie sur place.

Nous nous lançons très sérieusement dans l’apprentissage (pour Manon) et la révision (pour Marion) de l’espagnol avec l’application de langues « Duolingo ». Pendant 3 mois, nous ne manquerons presqu’aucune de nos sessions d’exercices journalières, et nous ferons beaucoup de progrès !

Nous tentons aussi d’instaurer une routine sportive, à laquelle nous nous tiendrons un peu moins sérieusement qu’à l’espagnol… oups ! Les jours où nous n’allons pas nager, marcher, skater ou surfer, nous nous rendons avec notre tapis de yoga sur l’esplanade de la marina pour faire une session de renforcement et cardio, fortement inspirée des exercices que Dédé Pruvost nous avait fait faire pendant les vacances en Algarve avec le groupe de collègues nanterriens de Marion.

Santa Cruz est une ville vivante, où vivent « de vraies gens » comme nous aimons le dire, il y a donc mille choses à faire et à découvrir. Entre les concerts au superbe opéra de Tenerife, où nous assistons pour 3 fois rien à une adaptation très réussie des Contes d’Hoffmann (opéra français donc !), les visites de musées, les pique-nique et siestes dans les parcs, les longueurs enchaînées dans les piscines municipales et les virées dans les skate-parks pour Marion, nous avons de quoi nous amuser.

Nous enrichissons et affinons notre liste de bonnes adresses gastronomiques : après les meilleurs mojitos des Canaries (au kiosque El Principe), nous dénichons les meilleures glaces de la ville dans le quartier excentré de la Granja, et ne trouverons pas meilleur resto local à notre goût que La Concepción, sur la charmante place de l’église du même nom, où nous découvrons la « socarrat », préparée à base de riz un peu brûlé (celui qui accroche sur les bords du plat de la paëlla), de fruits de mer et de mayonnaise à l’encre de seiche, qui nous fera tomber en pâmoison. La palme de l’apéro ultime, celui des grandes occasions, revient au restaurant mexicain El Chapulin et à ses délicieuses frozen margharitas (parfum citron, passion ou fraise), servies en pichets de 50 cL ou 1 L.

Nous prenons le temps de cuisiner, et ressuscitons même notre petit barbecue sans fumée « Lotus grill », diagnostiqué en panne lors de notre escale à Camariñas en Galice peu après notre départ. Nous mettrons donc au point une petite marinade idéale pour le poisson grillé-frites : un délice ! Les tentatives de fabriquer notre propre levain sont un échec, mais nous cuisinons pain, gâche, empañadas, légumes farcis végétariens et autres nouvelles recettes à ajouter à notre liste. Nous peaufinons aussi notre recette de mojitos maison, avec les citrons et les grands bouquets de menthe locale, et la partageons avec plaisir aux bateaux copains.

Oui, car même si les voyageurs en voilier se font moins nombreux sur les pontons canariens au printemps et en été, nous faisons de très belles rencontres et partageons de belles soirées à bord des embarcations des uns et des autres. Françoise et Étienne de Dibona seront nos voisins pendant les semaines de carnaval ; la petite famille de Helga, rencontrée au chantier, nous suivra à Santa Cruz ; le célèbre Tabasco et son capitaine youtubeur Pierro feront aussi escale ici et nous inviteront à partager un apéro en bonne compagnie ; et nous passerons de délicieuses soirées avec Michelle et Patrice, l’équipage de Brandewyn (un Gib’Sea lui aussi !), compagnons d’infortune qui découvrent des infiltrations au niveau de leur pied de mât au moment où nous sommes en train de scalper notre pont pour les mêmes raisons.

• Profiter des beautés de Tenerife

Bien que nous nous éternisions un peu à Tenerife, nous n’avons pas fini d’en découvrir les beautés et les richesses. Non loin de Santa Cruz, le parc rural de l’Anaga nous tend les bras, à quelques virages tortueux et vertigineux de là, parcourus en bus à bonne vitesse.

Les randos superbes et plus ou moins sportives du côté de Benijo, Taborno ou de la Cruz del Carmen, laissent souvent la place aux sessions de surf sur la petite plage du bout du monde du Roque de las bodegas, où Marion est heureuse d’avoir enfin trouvé SON spot de surf fétiche aux Canaries.

Nous retournons plusieurs fois dans le paisible village d’Igueste de San Andres, véritable oasis de verdure croulant sous les mangues, avocats, citrons et autres papayes, dont nous ferons souvent la cueillette (mmmh la bonne confiture de mangues !). Nous passons aussi du temps sur sa plage de roches volcaniques, au bord de falaises spectaculaires, à regarder les petits papys du coin pêcher à la ligne, les pieds dans l’eau. Au départ d’Igueste, nous grimpons les falaises sous le cagnard jusqu’à un sémaphore abandonné, perché à des centaines de mètres au-dessus de l’eau, offrant une vue plongeante sur le Teide, Santa Cruz et la baie d’Antequera.

Et si nous faisons du repérage à Antequera depuis la terre, c’est parce que nous savons que, au pied de ces falaises hostiles, accessible uniquement par la mer (ou en plusieurs heures de marche), se trouve un très beau mouillage, prisé des locaux en petites vedettes à moteur le week-end, mais quasi désert le reste du temps. Nous profitons de quelques jours de temps calme pour y passer un week-end très tranquille à lire, buller dans l’eau, faire du paddle, cuisiner et prendre quelques images de drone depuis la plage de sable noir.

Enfin, nous profitons d’avoir loué une voiture pour 2 jours pour retourner échauffer nos mollets dans le parc national du Teide, cette fois pour partir à l’assaut du 3e plus haut sommet de l’île, le Guajara. Nous sommes toujours autant saisies par ces paysages volcaniques démesurés, les sculptures naturelles dessinées par la lave, et les jeux de lumière qui viennent les souligner.

• Quitter Tenerife… ou pas ?

Après avoir repoussé plusieurs fois notre départ à cause des péripéties de la fameuse « épopée des cadènes » (racontée plus haut), nous finissons par avoir du mal à imaginer que nous réussirons un jour à quitter les rivages tenerfinois pour voguer vers la prochaine île, La Palma, dont nous rêvons depuis plusieurs semaines.

Car les faux-bonds de notre cher « pro des travaux de pont » semblent s’accorder avec les conditions météorologiques compliquées de l’été canarien pour nous retenir ! Le 17 juillet, à peine les cadènes remontées et le gréement réglé, nous larguons les amarres pour 1 jour et 1 nuit de navigation vers La Palma. Mais alors que nous manœuvrons pour sortir, un drôle de bruit au niveau du moteur nous fait faire demi-tour sans avoir dépassé le bassin d’entrée du port. Une petite plongée plus tard, nous nous rendons compte que nos anodes d’arbre d’hélice se sont desserrées et se promènent tranquillement sur l’arbre en bringuebalant dans un boucan d’enfer ! Qu’à cela ne tienne, nous voulons partir : ni une ni deux, Marion retire les anodes en apnée et nous voilà reparties… Pour revenir quelques heures plus tard à notre place, forcées au demi-tour par le vent violent qui souffle en plein dans notre nez à la pointe nord de l’île, et ne veut vraiment pas nous laisser passer…

Il nous faudra attendre 1 semaine une météo plus clémente pour quitter enfin Santa Cruz pour de bon, le 23 juillet : au revoir, « corazon de Tenerife », tu auras été notre maison aux Canaries et tu nous manqueras… Mais nous n’en avons pas encore fini avec Tenerife, vous verrez !


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